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Photo du rédacteurIsabelle Petitjean, MJMusicologie

Une décennie plus tard, They (still) really don't care about them, Michael !

Dernière mise à jour : 22 août 2021

L’actualité semble tomber de la lune concernant la situation précaire d’une bonne partie du Brésil et de certains quartiers de Rio, en coulisse de la Coupe du Monde qui ouvre ce soir… Quelques rappels cependant.


C’est au milieu des années 1990 que Michael Jackson a décidé de tourner le court-métrage de « They Don’t Care About Us » dans les bidonvilles de Rio de Janeiro et de Sao Salvador de Bahia, sous la direction de Spike Lee.

Ce tournage a été sujet à polémique (en plus du scandale causé par l’interprétation négative des paroles de la chanson elle-même) et a suscité des tentatives d’interdiction de la part de l’état brésilien, alors candidat à l’organisation des Jeux Olympiques de 2004.

En effet, les dirigeants ont craint (mais c’était le but), que les images tournées et montrant justement l’envers du décor, les favelas et la pauvreté, puissent nuire à l’image du Brésil et à ses chances d’accueillir les Jeux.


Mais quel exemple plus parlant aurait pu trouver Michael Jackson, dans un tel contexte, que la mise dérangeante sous les projecteurs des laissés pour compte, et la dénonciation induite de l’échec de la politique menée par le gouvernement – le tout sans jamais, comme en a l’habitude le stratège Michael, se perdre en discours et leçons de morale-fleuves.

Il a donc bien fallu trouver quelque chose… on a donc accusé Michael Jackson d’avoir exploité les pauvres autochtones et même, pourquoi pas, payé les cartels pour avoir le droit d’accéder au site et y tourner librement son film.

Tout cela n’a toutefois pas empêché le secrétaire d’État à l’Industrie, au Commerce et au Tourisme, Ronaldo Cezar Coelho, d’exiger de percevoir des droits (sales ?) sur la production, sous prétexte de ne pas comprendre pourquoi il devrait faciliter un tournage aux retombées forcément négatives…

Toujours est-il que le premier jugement sonnant l’interdiction totale du tournage a été annulé, et que si les officiels ont été furieux de cette démarche artistique provocatrice, le public local a, lui, été ravi de recevoir l’artiste et de sortir de l’ombre. 1500 policiers et 50 habitants du quartier, vêtus comme des agents de sécurité, ont donc bouclé le bidonville de Dona Marta.


Deux figures notoires sont ici à évoquer.

L’une est Spike Lee, séduit par le côté tranchant de la chanson, par son caractère "protest-song" qui colle à son activisme cinématographique assez radical et polémique et qui se trouve porté symboliquement par le nom de sa prod’ « 40 acres and a mule » (j’y reviens largement dans ma thèse) Il peut même paraître étonnant (suis-je naïve ? noooon…..) de voir Lee, partisan notoire du protectionnisme culturel africain-américain, accepter de collaborer avec un artiste « corrompu à la pop blanche » comme Michael Jackson, quand on le sait capable d’affirmer, en tant que noir américain : « Il est terrible de voir que plus nous avançons en tant que peuple, plus notre musique est diluée. Quelle est la solution ? » Bref.

Rappelons que dans le contexte d’HIStory et de cette chanson, soit près de deux ans après les premières accusations, l’image de Michael Jackson a été beaucoup remodelée et politiquement récupérée (y compris par des gens qui lui crachaient à la figure 10 ans avant… mais on a connu ça post-mortem aussi, hein… dans les deux sens d’ailleurs…), afin de lui donner une touche nationaliste noire plus incisive, virile et politisée, en guise de riposte à une situation qui se dégradait déjà notamment au sein du label. C’est là que, pour simplifier et se protéger, Michael Jackson a préféré englober sous le terme général d’attaques et de tentatives de déstabilisation globalement « racistes », ce qui est, en fait plus complexe et beaucoup moins « paranoïaque » (comme on a dès lors et jusqu’au bout cherché à le faire passer) que cela. Bref encore.

L’autre figure est le groupe Olodum qui a, du coup, accru sa notoriété, en étant mis en lumière grâce au clip, dans 140 pays à travers le monde. Cette organisation vise à combattre le racisme et à aider à cultiver, au sein des communautés africaines-brésiliennes de la région, une fierté et une identité affirmées, tout en offrant aussi un tremplin pour la promotion des droits civils au nom des groupes marginalisés. Sa présence dans le clip renforce stratégiquement les notions de diffamation franche, d’inégalité raciale et d’exclusion socio-économique portées par la chanson.


Olodum est d’ailleurs soutenu visuellement par l’intégration et l’interaction de Michael avec le groupe, mais également avec la mission de celui-ci puisqu’il reprend le code vestimentaire de ses membres, en portant lui-même les différents t-shirts dotés du sigle Peace and Love. Cette démonstration de solidarité est réciproque à travers l’acte de performance collective – les musiciens d’Olodum contribuant à ajouter non seulement des couches musicales à la chanson mais aussi des voix ajoutées à l’enregistrement studio, et Michael Jackson contribuant à leur langage chorégraphique et à leurs pas de danse.

Notons enfin que la chanson TDCAU joue, comme beaucoup d’autres et dans sa grand part, sur la célébration d’une certaine subjectivité musicale entretenue par Michael Jackson avec, notamment, une expression vocale fidèle à ses traditionnels traitement de la justesse, de la tonalité et du tempérament qui fait clairement, et une fois de plus, de l’enregistrement une représentation auto-orientée de sa personnalité artistique et charismatique.


Mais la vidéo se fond pour sa part et, là aussi, comme d’autres vidéos de Michael, en une trame narrative ingénieuse et intertextuelle qui porte une interprétation possible et ouverte de la chanson et montre, une fois de plus (c’est un des messages récurrents de Michael), la force accrue de l’action collective sur l’action individuelle – considération illustrée notamment à la fin de la vidéo, lorsque Michael conduit le collectif de jeunes danseurs dans des pas en avant, suggérant et symbolisant le pouvoir du groupe de danse en tant qu’unité de force au sein de membres d’une diaspora marginalisée.





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