(Si les mots du titre ne respectent pas les protocoles de la politesse, sachez qu'ils respectent tout au moins l'ordre de ce que je vais raconter là... ;)
Message personnel…. Pour me comprendre (dixit Michel Berger..) et Faire à nouveau connaissance (Diane Tell, bien sûr) J’ai fait beaucoup de kilomètres aujourd’hui…Et j’ai réfléchi. Pris conscience de certaines choses. Des choses que je savais, mais qui restaient latentes… Que je livre en mots ce soir… comme on tire un rideau. Je suis de formation classique. Purement. « Dans mon temps », comme diraient quelques fossiles qui n’ont pas pu postuler au « Carnaval des Animaux » de Saint-Saëns, faute de partager le même fuseau temporel que lui, « dans mon temps » donc, au Conservatoire, on ne faisait pas de « jazz »… ou alors on mettait la sourdine, on fermait bien la double-porte de la salle de piano…. En dépit de l’ultra complexité de cette musique, elle n’était pas vraiment « présentable »… pas un gage de sérieux… Le jazz, (au même titre que l’accordéon, mon pauvre père aurait pu vous en parler) c’était pour ceux qui ne voulaient pas devenir sérieusement musiciens… solistes… concertistes… que sais-je… professionnels…. Alors la « variété », comme on l’appelait encore alors…. Ma pauvre dame ! Vous n’y pensez pas ! Ces cris de barbare sur cette musique de sauvages, injouable !!! Et pour cause… Réduire une partition de Pink Floyd ou de Duran Duran, de Goldman ou de Balavoine au piano…. Fallait avoir le moral… injouable… et au final ça rendait si peu que c’en était démoralisant… Je peux en parler, j’ai acheté plein de partitions accompagnements-voix et je m’y essayais en douce… mais en effet, c’était pas fait pour… Aujourd’hui, il n’est plus rien de tout cela. Mes enfants, au Conservatoire National de Région, sont initiés parallèlement à la musique classique, au jazz et à la musique populaire ou encore contemporaine. Idem pour la danse… Classique, jazz, contemporaine… Les esprits se sont ouverts et c’est tant mieux, même si je garde le regret de ne pas avoir pu en bénéficier… J’ai commencé la musique au Conservatoire à 5 ans, à 7 ans, j’écoutais les quatuors de Mozart (avec qui je rêvais de me marier) sur mon tourne-disque et assistais aux répétitions de mon frère qui doublait avec sa basse les lignes et riffs des Rolling Stones, de Chicago, Dire Straits, Supertramp, Santana, Earth Wind & Fire, Imagination, Pink Floyd et autres… Je regardais avec intérêt les pochettes des 45 tours, que j’ai toujours, rangées dans les mêmes boîtes en carton. C’était mon seul lien visuel avec ces artistes. Certaines images, certaines musiques me faisaient de drôles d’impression… Quand on est petit… et surtout moi… j’avais vite peur…. Les Kiss… parlons-en… J’avais pas peur du tout des zombies de Thriller, mais quand je voyais les Kiss je fermais les yeux… Faut dire que… Bref, je me suis forgé une oreille, la mienne, en 20 ans d’études de musique, qui ne s’arrêtent jamais en fait puisque même quand on est enseignant on continue à s’enrichir, à découvrir, à comprendre, et heureusement, sinon la vie serait fade… Tout cela pour vous dire…. Mon oreille est ce qu’elle est. Ce que j’ai gardé de tout cela, ce qui a renforcé ma tendance naturelle, c’est que, je veux dire, quand on me passe une chanson, ou quand je suis en voiture, que j’écoute de la musique, je ne chante jamais avec. J’écoute. Je ne peux pas lire en même temps. J’écoute. Ni parler en même temps. J’écoute. Il ne faut pas faire le moindre bruit, j’écoute. C’est pénible parfois pour mon entourage qui se demande ce que je peux bien écouter, au point d’être agacée par le moindre parasite. Les sons, leur qualité, leur place dans le panorama, leur interaction, la profondeur du champ, la voix du type, ses inflexions, sa façon de prononcer les mots, de former les sons, les « s », les « m », son vibrato, sa respiration, son souffle, s’il bouge, s’il sourit (ça s’entend), pleure, claque dans les doigts, tape du pied… l’évolution sonore de la chanson, l’entrée de tel instrument, la petite note en plus qui vient modifier la ligne de basse au troisième couplet, la variation faite par le clavier sur tel refrain… la coda… je monte le son à la fin pour choper le bout du « fade out » (j’adorais faire ça à la fin de « P.Y.T » quand j’étais gamine… et pour tout dire, je le fais toujours ! ;), voir si quelqu’un dit quelque chose, si on discerne un petit bruit de studio, de voix… Alors quand mon frère m’a offert Thriller, j’avais 10 ans (ou se l’est offert et me l’a filé…), wouaouh….. !!! De la musique comme il en écoutait lui, mais en moins hard, dans le style d’EW&F ou Imagination que j’aimais vachement, mais mieux, plus classe, avec des instruments comme dans le jazz et la musique classique, des vraies cordes, des vrais cuivres, une voix… pure, hyper sexy, et un type plutôt canon sur la pochette …. Ben oui, soyons honnête, hein… que j’ai décortiquée très longtemps avec mes petits yeux au point d’en connaître chaque détail…, pochette double grande ouverte et paroles punaisées au mur avec ses dessins « self-made » (trop doué ! j’étais si nulle, moi, en dessin !) Voilà, Thriller, c’était nourrissant comme du classique, vernis et doré comme du jazz, frais comme de la teen-pop, déchirant comme les rockeurs à cheveux longs (merci Van Halen), original comme l’Afrique qui me faisait déjà rêver (merci quand même Dibango ! sans rancune hein !) Thriller, c’était tout ça… Mon intérêt pour le son Jackson est né là. Mais ceci peut expliquer cela... Et comme toutes les qualités peuvent devenir des défauts, j’ai le défaut aujourd’hui d’attendre quelque chose, tout en sachant qu’il ne faut rien attendre. D’être résignée, tout en me mettant en colère. Peut-être c’est bon signe. Quand le nerf n’est pas désensibilisé, subsiste un peu de vie. Il y a quelque chose qui est et restera irrésolvable pour mon oreille. C’est d’entendre la voix de Michael posée sur des arrangements qui, sans parler du style, n’ont pas d’intérêt sonore, musical, acoustique, ou de manière moindre alors, pour les meilleurs d’entre eux. Qui ne m’apportent, à moi, aucun réel plaisir sensoriel auditif. Qui cassent le plaisir émotionnel de la voix du chanteur à grands coups de frustration. Écouter, et n’entendre… rien d’intéressant…. Si, sa voix… et donc avoir envie de leur dire… « Hé !!! Moins fort les basses ! Pause les gars ! Allez boire un café je vous l’offre ! Laissez le mec chanter devant, je voudrais l’entendre !… » Je ne fais pas partie de ceux qui écoutent sans entendre ni entendent sans écouter. C’est ennuyeux, croyez-moi, je vous le dis. Peut-être, si ces chansons étaient reprises par une autre voix que la sienne, un autre chanteur, le phénomène d’attente lié à sa personne et parfaitement inadéquat, disparaîtrait. Cela deviendrait la chanson d’un autre. Même s’il la écrite ou interprétée, même en démo, en premier. Peut-être je pourrais dire : « pas mal ! Sympa ! » Ben oui… Quand j’écoute les autres musiques, groupes ou chanteurs que j’écoute, je sais pour chacun ce que j’attends. Je n’ai pas, à leur égard, d’attentes présomptueuses, ni de déception, parce que je sais ce que je viens chercher chez chacun, ce qu’il donne, de bon, de très bon, de super, qui me convient à moi, en tout cas en termes de plaisir musical. Là, quand je sais (et on peut difficilement faire autrement) que le nom est « Michael Jackson » et que la voix est « Michael Jackson », désolée, il y a une équation qui ne se fait pas chez moi. Une équation impossible à résoudre. J’attends, naturellement, même si je sais…, quelque chose qui m’a nourrie, éduquée, fait rêver, délirer, bluffée, donné du plaisir musical et émotionnel, pendant… oserais-je dire toute ma vie ? Non les trois-quarts. 30 ans. L’opération : « Michael Jackson ? » - « Pouah ! Qu’est-ce qu’il va encore nous faire de top-trop classe ce coup-ci ?!! » est viciée. Bloquée – opération qui s’est manifestée la dernière fois en mars-avril 2009, quand les radios faisaient la pub de ses concerts les matins dans ma salle de bain et que je poussais des interjections et autres esclaffements, mon sèche-cheveux à la main (désolée, je suis un brin hyper-mnésique, ça aussi c’est fatigant…) Enfin voilà. Voilà pourquoi… pourquoi, moi, j’entends comme ça… pourquoi, aussi, je n’ai pas pu faire autrement que de faire cette thèse sur sa musique et ce qui va avec… Exprimer tout ce que j’ai entendu, compris… C’est long, croyez-moi… Mais vous me croyez puisque je vous fais attendre… Dernière chose… Importante. En tous cas pour moi. Michael Jackson a écouté 200 portes dans les studios d’Hollywood… Pour quoi faire ? Vous savez, cette porte qui grince au début et à la fin de Thriller, symboles du livre qui s’ouvre et se ferme, des trois coups de bâtons et du tomber de rideau qui ouvrent et ferment le théâtre, ce théâtre sonore qu’il a créé… Eh oui…. 200 portes… Et il en a choisi une pour l’ouverture, une pour la fermeture… Parce que le son n’était pas pareil. Il fallait que cela soit comme lui l’entendait, l’imaginait dans sa tête en constante ébullition… À la fin de son périple de 200 écoutes, il est revenu dire lesquelles il avait choisies… Il s’en rappelait avec précision… Et Bruce Swedien a mis… 48 heures à enregistrer ces deux mouvements de portes, faisant danser ses micros millimètre par millimètre, prise après prise, pour obtenir le son optimal… 48h pour deux bruits de portes… (certains pros enregistrent l’intégralité d’un album dans ce délai, faut le savoir…) Voilà… Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres que je pourrais vous relater et qui témoigneraient du soin incroyable, des heures, du temps passé à gérer des détails auxquels, peut-être, vous n’avez jamais vraiment fait beaucoup attention, et que d’autres auraient réglés à coup d’échantillonnage sonore, de « sampling »… Je finirai donc en disant que, pour moi, un type qui écoute 200 portes et les fait enregistrer pendant 48h (et si Bruce avait eu besoin de 3 semaines, il les lui aurait payées) pour nous, pour nos oreilles, par respect pour son public et son souci de ne lui donner QUE le MEILLEUR de lui-même, mérite MIEUX que ce qu’on lui inflige là.
Ce sera mon dernier mot. « This is it….Final curtain »… Merci d’avoir supporté mon incorrigible longueur…
Votre incorrigible longueur fait notre plus grand bonheur Isabelle ! Quel superbe billet encore une fois, qui ne peut que nous rappeler combien on doit savoir écouter, par respect pour Lui, pour ce travail qu'il a fourni, pour ce perfectionnisme, afin de nous offrir le meilleur. Même au fil du temps, de toutes ces années, on se surprend à découvrir toujours et encore des pépites qui se révèlent à nos oreilles. On savoure malgré les années qui passent. On ne se lasse jamais, comment le pourrait-on, alors qu'il y a tant de subtilités, de trésors. Sa Voix qui est Musique, et la magie qui s'y raccroche, se savourent ; savoir écouter est un art de vivre ❤️
Inouï ce blog!
Isabelle parle mais épouse, je veux dire : prend la forme de … la musique, du langage qui va avec, du tempo, peut-être le claquement de ces portes, du son dans le son ! C'est vraiment ça être musicologue et ne me demandez pas à quoi ça sert, sinon je vais me mettre à hurler. Combien de fois je l'ai eu cette question! C'est comme si l'on me demandait : à quoi ça sert une fleur, une étoile, un violon, le vent dans les arbres, le rire d'un enfant. Ne posez plus la question. C'est une science, avec son infinitésimal atome sonore, sa vastitude quasi magnétique et sa dimension cosmique autant que terre-à terre. Avec le r…