Réponse au précédent billet autour de notions qui font parfois réagir de façon épidermique... Ce "billet d’humeur" ne relève point de l'exercice scientifique bardé de moult notes de bas de pages et références d’ouvrages tout aussi "scientifiques", mais d'un libre cours... au flot de mes idées, de mes sentiments et de ma compréhension des éléments mis en avant. Direct, sans pare-feu, sans bouclier universitaire.
Ce billet-réponse parle de Michael Jackson. Et seulement de Michael Jackson. J’aurais pu mettre en perspective, dans un souci d’objectivité, son travail, ses apports, avec ceux d’autres professionnels, d’autres artistes. Encore une fois, mon but n’était pas là de reproduire le travail que je fais toute la semaine. Et je ne dépossède strictement personne en mettant en valeur chez cet artiste en particulier ce que lui a éminemment fait. Chaque grain de sable, sur une plage, a son importance. Chaque fleur sauvage a sa place pour architecturer la beauté d’un paysage. Lui-même s’est appuyé sur ses prédécesseurs, a "emprunté" des références avant de les refondre dans sa propre esthétique. Pas plus que lui, je ne nie l’importance d’un Elvis, d’un Lennon, d’un Les Paul, d’un Fred Astaire, d’un de Vinci ou d’un Beethoven. Tout a fait école chez lui. Tous s’y sont donné rendez-vous. Et bien d’autres encore.
Les questions que j’ai posées initialement dans le billet du 26 juillet ne sont pas miennes. Parce que je ne lui cherche aucun "successeur". Parce que j’ai conscience des apports des autres. Parce que je sais selon quelles modalités (et je l’assume !), il a été plus incontournable que d’autres, pour moi, instinctivement, depuis l’âge de 10 ans et l’album Thriller, mais aussi à présent, à la lumière de mon travail, très objectivement… Ces questions ne sont que l’écho de choses trop souvent remises sur le tapis dans les conversations du dimanche, dans les émissions de divertissement en quête d’une dynamique d’intérêt, de suspens, de financement… "Tapez 1, tapez 2, tapez 3… Qui sera le nouveau Michael Jackson…"
Maintenant. Quant à cette notion d’ "incontournable" et au fait qu’on ait pu vivre sa vie sans jamais lui trouver cette qualité… Les cimetières sont remplis de personnes irremplaçables dit-on parfois avec un certain cynisme… Oui, c’est bien le cas. Je confirme. Personne ne remplace personne, l’amour ou les qualités ou l’intelligence de quelqu’un ne sont pas substituables à ceux d’un autre. Beethoven, tout Beethoven qu’il était, n’est pas Mozart, et Mozart n’est pas Bach. Mais tous sont indispensables. On pourra riposter que l’incontournabilité de Mozart est discutable. Pour certains, Mozart est un génie novateur, pour d’autres, "juste" celui qui a canonisé les règles du classicisme, pour d’autres enfin, un enfant prodige dont le talent a continué à augmenter avec l’âge. Pour autant, la musique d’aujourd’hui serait-elle la même sans lui ? La vie des uns et des autres serait-elle plus belle sans la pureté de ses mélodies, sans l’évidence bienfaisante de ses enchaînements harmoniques ? (Même les plantes du jardin de Neverland s’en seraient moins bien portées…. !)
Si donc mon propos se targue de l’imposer, en toute subjectivité, comme incontournable, il est facile, en toute objectivité, de le démontrer. L’incontournabilité de Michael Jackson relève du fait historique. De l’audience démesurée qu’il a rassemblée, au-delà d’Elvis et des Beatles. Des possibilités techniques et médiatiques qu’a offert son époque et de l’usage qu’il a su en faire. Les modalités de cette conquête d’audience sont en partie l’objet de mes recherches et d’articles qui suivront. Son impact, son influence, ont eu une portée qui a dépassé, par ce simple fait déjà, les avancées de ses prédécesseurs. Sa manière de façonner le son s’est répercutée de façon éminente jusqu’à aujourd’hui. Ses exigences, sa quête de qualité ont, dans les milieux professionnels et par cette même portée et ce même impact, fait école. On peut l’ignorer. On peut ne pas le savoir. Beaucoup des jeunes que je fréquente au quotidien pensent que l’électricité et l’enregistrement ont toujours existé et ne savent pas qui est Edison. Quand je leur fais écouter Mozart, certains me demandent chaque année très naïvement si c’est lui qui joue. Quand ils m’ont apporté, pour le commenter, l’opéra-rock Mozart, certains parmi eux étaient sûrs qu’il était l’auteur-compositeur des chansons (je n’invente rien, c’est du vécu). Ils bénéficient au quotidien de l’électricité, des CD et ne trouvent incontournables ni Thomas Edison, ni Emile Berliner. Suspendus à leurs portables, ils ne remercient pas Graham Bell et fans de rap américain ils ne disent pas non plus merci à James Brown. Peut-on leur en vouloir ? Ont-ils pour autant raison ?
Michael Jackson est, selon moi, incontournable sociologiquement et esthétiquement, et tout le monde le sait, (c’est même ce qu’on sait avant tout !) parce qu’au sein de cette vaste audience, il a suprêmement conquis Blancs et Noirs, caucasiens, africains et asiatiques, indiens et amérindiens. Il a opéré des diagonales en faisant "accepter", dans une société américaine très cloisonnée, à la limite de l’apartheid culturel, la musique dite "noire" par des Blancs, et la musique dite "blanche" par des Noirs. Il a, au sein de ce même vaste public, fait passer un message humaniste accessible et compréhensible par les différentes couches sociales et culturelles. Pour celui qui n’a accès qu’à la surface ou ne cherche pas à gratter le vernis, il peut en tirer une leçon adaptée ; pour celui qui cherche à comprendre ou a grandi dans un milieu culturel lui permettant de déchiffrer les autres strates, il en tire lui aussi une leçon adaptée.
Enfin, Michael Jackson est incontournable parce qu’il n’a pas œuvré QUE dans un seul domaine. Il est pluridisciplinaire et doté de plusieurs talents, de nombreuses compétences. Ses apports sont multiples et concernent la musique autant que la danse, la scénographie autant que la narrativité auditive et combinent le tout. Là encore, c’est la portée, la médiatisation, fondées !, qui décuplent cet impact qui, en lui-même et rien qu’à la base, était déjà énorme.
Quant à lui chercher ou espérer lui trouver un "successeur". Bien sûr que tout le monde a sa place sur cette terre. Que d’autres viendront. Mais chacun est irremplaçable. Les talents d’une personne sont une chose. Sa "capacité" à naître dans un milieu familial et social qui fertilisera ces talents en est une autre. Il y aura, c’est bien sûr et c’est tant mieux, d’autres créateurs, d’autres novateurs, d’autres grands artistes. Il n’y aura pas d’autres Michael Jackson. Pas plus que d’autres Berlioz ou d’autres Michelange. Lui-même n’a pas voulu être un nouveau James Brown ou un nouveau Fred Astaire. Qui peut prétendre à cela ? Et comment le monde pourrait-il avancer dans une dynamique de nostalgie et de répétition ? Michael Jackson a été lui, et nous l’en remercions. Voilà. Le but n’était pas de refaire un autre billet sur ce même sujet.
Libre à chacun, bien sûr, de ne pas chercher à comprendre les choses ou de ne pas avoir envie d’y voir plus clair… On peut apprécier le son "rock’n’roll" d’Elvis et de toute cette époque sans évaluer combien il est redevable aux innovations de Sam Phillips et Sun Records ; on peut apprécier les blocs sonores vocaux de "Rock With You" sans dire merci au lointain Les Paul qui a initié de façon révolutionnaire l’overdubbing ; on peut remercier l’influence de Motown ou de certains outils de studio sans savoir que les noms crédités ne sont pas ceux qui ont, en réalité, œuvré, et ne pas chercher à remettre l’église au milieu du village ; on peut écouter du rap toute sa vie sans dire jamais merci à James Brown ; on peut vivre, a priori bien, en pensant que Michael Jackson a juste travaillé "à sa façon" (sic.). Mais de quelle façon ! Pour autant, il me semble qu’on se prive d’une compréhension du monde éclairante, nourrissante et fascinante.
L’Amérique doit son nom à quelques savants basés à Saint-Dié en 1507 qui ont choisi de le fixer sur les cartes de l’époque en hommage à Amerigo Vespucci. C’est un nom que l’on utilise chaque jour depuis 500 ans. On peut vivre sans avoir jamais entendu parler de ces hommes qui ont œuvré au fond des Vosges et pris, entre autres décisions, celle-ci. Mais quand on le sait, l’esprit, la compréhension, s’ouvrent. Ce ne sont pas les choses qui changent. Mais leur perception. La conscience qu’on y porte. Pardon pour ce mot pas plus "scientifique" que l’autre. J’assume d’être personnelle. For sure “it’s too late to change the time… but not too late to change your mind.” Et cela passe par la connaissance, la conscience. Si l’on veut, bien sûr…
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